Des oublis à réparer (Max Weinstein)
Des oublis à réparer
Max WEINSTEIN
ancien résistant de l’Union de la jeunesse juive
et ses groupes de combat (zone Sud) (*)
Le documentaire sur la Résistance, diffusé mardi soir 19 février soir sur France 2, s’il était plein de bonnes intentions, n’a pas donné la réalité des événements tels qu’ils se sont passés. Parler du sauvetage des enfants juifs à partir des dirigeants de l’UGIF (Union générale des israélites de France) me semble réducteur. C’est oublier que l’UGIF a été constituée à l’initiative de l’occupant nazi, tout comme le Judenreich en Allemagne. Même et y compris si certains des dirigeants de l’UGIF espéraient s’en servir pour la bonne cause - la défense et la sauvegarde des familles juives -, la réalité, qui n’apparaît pas tellement dans le document, a fait que les fichiers constitués ont été utiles aux Allemands et à la police française pour accentuer la répression contre les familles juives, les arrêter et les déporter.
Ce documentaire est réalisé de telle sorte qu’on a l’impression que la population française s’est dès le début de l’occupation portée au secours des juifs. On a aussi l’impression que la résistance à l’ennemi et ses soutiens s’est développée sans attendre, ce qui est faux. Il a fallu du temps à ceux de la société française qui voulaient résister pour s’organiser, mettre en place les réseaux. La révolte des mineurs du Nord de la France est montrée comme un phénomène spontané alors que les militants communistes en étaient les initiateurs et dirigeants.
l'affiche Rouge sur un mur de Paris
en 1944 (source)
C’est tout du même tonneau dans cette émission : éviter d’avoir à faire connaître le rôle qu’ont joué les communistes dès l’entrée des armées nazies en France. C’était aussi une façon d’éviter d’avoir à évoquer le rôle important des communistes juifs de la MOI (Main-d’oeuvre immigrée) dès le début de la guerre. Ils en ont payé le prix fort.
Ce documentaire, tout à fait dans la ligne des campagnes qui ont visé à minimiser la résistance des communistes depuis de longues années, les reprend à son compte en la faisant partir de l’invasion hitlérienne de l’URSS. Je ne sache pas qu’il y ait eu un seul autre parti, en tant que tel, qui se soit engagé comme l’a fait le PCF.
De plus, il ignore complètement, en faisant la part belle aux Éclaireurs israélites de France et autres mouvements, l’action décisive des résistants de l’UJRE (Union des juifs pour la résistance et l’entraide) pour le sauvetage des enfants, en particulier, le coup de Vénissieux dont il est largement fait écho. Ma tante Sabine, actuellement en Israël, âgée de quatre-vingt-quatorze ans, qui fut de ces femmes de l’Union des femmes juives clandestine à participer à cette action formidable, serait sans doute indignée de cette partialité.
Et puis, parler de Mgr Salièges et de sa lettre pastorale, sans citer le nom de celui qui lui avait rendu visite pour l’alerter sur la situation des juifs, Charles Lederman, un des dirigeants de l’OSE (Oeuvre de secours à l’enfance), sous prétexte sans doute qu’il était un militant communiste, est un scandale. Ce scandale à propos de Charles Lederman [ci-contre] est fréquent et bien des historiens se gardent bien de le citer lorsqu’ils abordent cette question.
Le regard révisionniste qu’ont porté sur l’histoire de ce temps les réalisateurs de ces films laisse mal augurer de ce que vont être les quatre films qui vont être projetés sur France 5. En tant qu’ancien résistant, communiste d’origine juive, je sais que la Résistance n’est pas l’apanage des seuls communistes, qu’elle fut multiforme.
Au fur et à mesure des mois, elle s’est organisée, elle a grandi. Laisser entendre, comme on pourrait le croire à la vue du documentaire, que les Français se sont engagés dès l’abord dans la Résistance ou dans son soutien est une façon erronée d’écrire l’histoire. Je me souviens encore de la foule énorme qui est venue acclamer Pétain peu avant le débarquement du 6 juin 1944 sur la place des Terreaux à Lyon, où je me trouvais. Il y a eu des résistants, certes, mais les juifs avaient plus de raisons que d’autres de se méfier et de s’engager dans la lutte contre l’envahisseur. Ce qui fut le cas, dès avant l’occupation allemande, par la création par les juifs de la MOI du mouvement Solidarité, puis, par la suite, des organisations de résistance active que furent l’UJRE, l’UJJ (Union de la jeunesse juive), l’UFJ (Union des femmes juives).
Je n’oublie pas les groupes de FTP de la MOI où les jeunes juifs, aux côtés d’autres antifascistes, firent merveille. Cela ne diminue en rien les mérites des dirigeants du comité Amelot dans lequel figuraient aussi des communistes juifs. Sans doute n’est-il pas dans l’air de notre période de reconnaître enfin sans réticence, sans a priori et sans arrière-pensées ce que fut le rôle des communistes dans la résistance à l’ennemi, dès l’occupation de notre territoire, sans négliger pour autant la Résistance dans son ensemble et sa diversité.
(*) vice-président de MRJ-MOI
tribune libre parue dans l'Humanité
le 29 février 2008
- Max Weinstein, conférence d'Annecy, 5 février 2003
- statuts de l'association Mémoire des Résistants juifs de la MOI
FTP-Moi à Marseille le 29 août 1944
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